Théâtre du Pélican, nouvelles mythologies de la jeunesse

Allez hop à  Ambert d’abord puis à Riom pour deux fois une semaine de résidence et d’atelier d’écriture avec des classes sur le thème proposé par le Théâtre du Pélican « les nouvelles mythologies de la jeunesse ». Pour moi, ça sera la victime expiatoire avec en toile de fond une idée fixe, « le slut-shaming » où des adolescents font le procès d’une de leur camarade aux supposées moeurs légères.

La première semaine a eu lieu à Ambert avec 15 collégiens et 15 lycéens en octobre dernier, cette semaine c’est à Riom que ça se passe avec une douzaine de secondes volontaires et motivés. L’idée est de faire écrire sans forcément de but, sans forcément de texte à finir, de pièce à achever. Faire écrire donc, ces élèves sur un thème imposé : la victime.

Mais surtout ne pas recommencer le même atelier, jamais. Proposer de nouveaux exercices, une nouvelle trame, des séances différentes pour ne pas risquer de se perdre dans des répétitions qui tourneront en rond.

A Ambert, on alternait par demi-groupes des séances de recherches au CDI et des séances d’écriture qui prenaient leurs inspirations dans les grands textes des autres parfois ou dans les grandes envolées des élèves. A Riom, on resserre, on épure, on cherche à trouver la bonne réplique, celle qui fait avancer dans des pages et des pages de mots qui s’alignent sans toujours se répondre.

J’affine aussi de mon côté mes techniques d’atelier. J’essaye des choses qui ne fonctionnent pas toujours, j’essaye de les faire parler sans trop donner mon avis. Et c’est ça le plus dur. Se rendre compte qu’une fois que l’avis de l’Auteur est lâché dans l’air, il a du mal à s’évaporer.

Dur aussi de ne pas être dans le « j’aime/j’aime moins » Parce que oui, il y a des textes qu’on trouve beaux tout simplement et d’autres qu’on trouve plus faibles, maniérés, précieux et pourtant ils ont quand même l’intérêt d’avoir été écrits par ceux qui pensaient ne pas en être capable.  Et cette préciosité-là n’a rien de problématique.

Et puis je me souviens de moi à leur âge, malhabile dans une écriture tellement chargée. Oui, on pense souvent qu’adverbes et propositions conjonctives sont la clé du succès alors qu’avec l’âge et les milliers de pages écrites, on se rend compte que l’épure, la merveilleuse épure a la force qu’on recherche et qu’elle si difficile à atteindre.

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Chapitre 7 : Full Choke – extrait en cours

Immon – Raconte-moi si on devait se battre.

Soudi – J’croyais que vous aviez pas le droit de raconter. Que les histoires sont interdites par le Pouvoir.

Immon – C’est toi qui raconte. Ils peuvent pas m’empêcher d’écouter.

Soudi – C’est toi qui doit le faire.

Immon – Faire quoi ?

Soudi – T’empêcher. Ça sert à ça, interdire. A ce que les gens s’empêchent tout seuls. Et quand ça suffit pas, on fait un exemple. Pour que les gens se le racontent.

Immon – On a le droit aux histoires vraies.

Soudi – Tu me la racontes ?

Immon – Tu me raconteras celle où on doit se battre ? (Un temps puis Soudi acquiesce) Alors d’accord. (Il s’éclaircit un peu la voix) Les gens racontent…

Soudi fait claquer sa langue.

Soudi – Pas les gens. Toi.

Immon – Moi… ? D’accord. Voilà ce que moi je raconte. (un temps comme pour ménager son effet)C’est plusieurs jours après le Grand Mouvement, personne ne sait vraiment quoi faire. Les gens reçoivent leur convocation. Certains y vont, d’autres ne reviennent pas. Parfois, on décide de quitter la ville avant même d’avoir l’enveloppe. On dit qu’à l’extérieur, c’est la jungle. Que les hommes sont des sauvages qui s’entretuent pour une morceau de pain. Dans les rues, il y a de plus en plus de soldats. On dit que la ville est dangereuse. Que la terre peut recommencer à trembler n’importe quand et surtout près du grand lac de sang qui s’est formé. Les gens ont peur. On dit que bientôt, les soldats escorteront ceux qui restent à l’extérieur de la ville dans un endroit plus sûr. Une autre ville, peut-être. On dit beaucoup de choses. Alors pour empêcher que les gens racontent n’importe quoi, le Pouvoir édicte la Loi Vérité. Quiconque sera surpris à raconter une histoire qu’il ne pourra pas prouver sera fait immédiatement prisonnier. La première loi du Codex. N’importe qui pouvait aller au Bureau Organisation et Information le plus proche pour témoigner contre un autre surpris à raconter une histoire improuvable.

Soudi – Témoigner ? Dénoncer, oui.

Immon – Je raconte ou c’est toi ? (Soudi fait un geste de la main) Le premier témoignage reçu par l’O-I, c’était contre un homme qu’on a entendu raconter à sa fille de 6 ans l’histoire d’un Prince Charmant qui défie le Roi et parcourt le monde pour trouver sa princesse. Ben oui, c’est difficile à prouver, un prince charmant. (Un temps) La Loi Vérité, elle était là surtout pour supprimer les rumeurs qui agitaient les rues. Mais comme il fallait faire un exemple et vite, l’homme a été arrêté. On dit qu’il a été torturé et qu’il n’est jamais sorti de prison. Les gens ont arrêté de raconter des histoires. Les rumeurs elles ont continué mais les histoires plus jamais.

Un temps.

Soudi – Elle était peut-être là pour ça, cette loi.

Immon – Pourquoi tu dis ça ?

Soudi – Parce que l’imagination, c’est plus dangereux que les rumeurs.

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Je veux pas de toi

Début de quelque chose. D’un petit texte comme ça qui deviendra grand peut-être… Comme un enfant…

Je veux pas de toi
ça a commencé comme ça
Avant même d’avoir des oreilles
Avant même d’avoir un cortex
Avant même d’avoir des larmes à verser
Je ne veux pas de toi
Pas plus grande qu’un haricot
Un grain de sable dans le bidon
C’était déjà trop
A longueur de journée
Je veux pas de toi
Je veux pas de toi
Je veux pas de toi
Pas d’oreille, pas de cortex pour comprendre
et pourtant
ça rentrait bien quelque part
Comme une grande vague par-dessus la digue
Le haricot s’est accroché
Pour pas se faire emporter
Par la grande vague des mots qu’il entendait pas
Je veux pas de toi
Elle savait même pas que j’étais là
Qu’elle criait ça dans sa tête
Ça résonnait dans le thorax
Jusqu’en bas du bidon
Une grosse vague jusqu’en bas
Elle devait crier ça depuis longtemps
toute sa vie d’avant
toute sa vie sans personne
toute sa vie en pensant
qu’elle était bien comme ça
Juste elle,
elle seule
Et surtout sans personne
Moi
Elle m’envisageait pas
Et pourtant j’étais déjà un toi
Je ne veux pas de toi
Une personne dans sa tête
Un quelqu’un
pas un quidam
pas un quelque chose
Un quelqu’un
un vrai avec un pronom personnel
un toi qu’elle voulait pas
alors que j’étais même pas encore là
alors que j’existais même pas
un toi sans oreille, sans cortex, sans larme
Je veux pas de toi
Une petite musique dans sa tête
Depuis toujours
Depuis qu’elle savait qu’un jour elle pourrait
Ne plus être toute seule
Une petite ritournelle
Je ne veux pas de toi
Alors que personne lui en parlait encore
Elle savait, elle,
Je ne veux pas de toi
Alors que personne imaginait même
qu’elle pourrait un jour
Elle savait, elle,
Je ne veux pas de toi
Alors qu’on lui parlait de tout,
Les études, les voyages, les amours,
De tout sauf de moi
Elle savait, elle,
Je ne veux pas de toi
Elle savait, elle
Qu’un moi, toi, deux, trois,
Elle voulait pas.

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Cognac Stories

Invitée par Louis XIII (Rémy Martin), j’ai eu l’immense chance de découvrir le cognac, son terroir et son histoire. Voici une pastille inspirée de cette journée passionnante.

J’ai 115 ans. J’ai 3 pères, 1 mère et 115 ans. J’étais là avant les guerres de vos grands-pères, avant les révolutions de vos parents, avant votre premier cri. J’étais là avant le premier cri de ma mère. J’ai grandi à l’abri, protégé, sans entendre le bruit du monde, le bruit des guerres, le bruit du temps qui passait pourtant avec force et fracas au-dessus de moi. J’ai dormi, on pourrait dire, dans un écrin de bois qui a vu passer mes sœurs et mes frères avant moi. J’ai changé. En 115 ans, on change. En 115 ans, on se découvre une richesse qui s’est construite avec patience et passion. En 115 ans, on a le temps de rencontrer du monde, de croiser d’autres soi-même, qu’on embrasse avec l’espoir dans tirer le meilleur et d’oublier ses propres imperfections. J’ai mélangé mon moi, ce qui me faisait moi avec le soi des autres. J’ai changé, j’ai grandi, j’ai 115 ans.

Comment serez-vous à 115 ans ? Ratatiné, fripé, ridé, l’ombre de vous, incapable d’autre chose que de revenir en arrière dans l’espoir d’y bloquer une boucle de temps. Si la mémoire en tout cas vous reste. D’autres auront ardoise blanche qu’ils passeront leur temps à remplir puis effacer. Vous attendrez la mort un peu par bravoure, beaucoup par ennui.

Moi, je commence à vivre. J’ai 115 ans.

Ma mère s’est assurée la dernière que je commencerai ma vie quand d’autres la finiront. Elle a fini l’office de mes 3 pères d’avant. Et prépare la vie de ceux qui me suivront. Ceux-là connaîtront d’autres parents, d’autres gardiens, d’autres temps. Peut-être me connaitront-ils aussi un peu. Quelques gouttes de mon sang à mêler au leur pour rappeler qu’un jour j’ai eu 115 ans. Ils auront 115 ans, et plus encore peut-être.

Je me repose. Je m’alanguis. Je laisse faire le temps. Je pense aux anges qui papillonnent aux alentours, attendant le bon moment pour emporter leur part. Je pense aux parfums qui s’évanouissent parce qu’ils n’ont pas la force de s’accrocher, aux arômes qui s’effacent quand on oublie d’y penser fort, aux accidents de la vie qui font les belles histoires, aux années qu’on prépare et qu’on ne verra pas. J’ai 115 ans, je m’arrête là même si la vie commence. Je suis ainsi, je suis entier grâce aux morceaux des autres, je suis le même ou presque que ceux qui viennent d’avant, je suis le souvenir d’une tradition qui s’applique à durer.

J’ai 115 ans, je suis dans ma bouteille. Mes années-tierçons ont préparé ma vie. Je suis prêt aujourd’hui à m’ouvrir. Je suis un Louis, je suis un roi, je suis un bijou d’ambre précieux, je suis un soupçon de magie sur les lèvres d’une femme, dont on s’empare avec gourmandise.

Approchez-vous doucement. Laissez venir à vous mes deux cents notes mêlées. Cherchez dans vos mémoires, attrapez un arôme puis laissez le filer. Trouvez la fleur, le fruit, le confit, le fumé. Laissez-vous entraîner par le suc d’un jasmin qui vous embarque ailleurs. Hésitez à admettre les fruits exotiques, ananas et passion sont pourtant bien dans l’air. Un souvenir de pâte de coing se fraye un chemin en secret. Safran et poivre de Sichuan titillent un peu l’ensemble. On s’attendrait presque à voir surgir le piquant d’une mellanosporum à peine sortie de terre tant on sent s’enchaîner les parfums si précieux. Une touche de réglisse, un soupçon de vanille, il vous reste 191 arômes à trouver.

115 ans à attendre, il est temps de goûter.

Je me laisse dévêtir par les palais en émoi. Touches après touches jusqu’à cette explosion qui affole les chairs. Frémissement, frisson, pâmoison. Je m’enroule tel un cordon fou autour des colonnes vertébrales pour remuer en vous des extases oubliées. Laissez-vous emporter par le feu léger de mes 115 ans, laissez-vous envahir par la richesse de mes parfums, laissez-vous faire. Ce n’est pas une valse, c’est une danse libre où chaque nouveau mouvement est une nouvelle surprise. Je vous ai fait tourner, le cœur à la chamade, les yeux perdus dans la pénombre de ma cave de mariage, je ne vous quitte plus. Je suis là, toujours là, encore présent dans un verre vide. Là, bien là, en vous pour longtemps.

J’ai 115 ans et je resterai quelque part dans vos mémoires même après que je ne sois plus. Vous m’emporterez comme une seconde d’éternité. Vous reviendrez peut-être pour d’autres découvertes mais la première fois aura toujours l’éclat de la révélation. Vous ignoriez tout de moi. Il était temps de se rencontrer.

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