Chapitre 7 : Full Choke – extrait en cours

Immon – Raconte-moi si on devait se battre.

Soudi – J’croyais que vous aviez pas le droit de raconter. Que les histoires sont interdites par le Pouvoir.

Immon – C’est toi qui raconte. Ils peuvent pas m’empêcher d’écouter.

Soudi – C’est toi qui doit le faire.

Immon – Faire quoi ?

Soudi – T’empêcher. Ça sert à ça, interdire. A ce que les gens s’empêchent tout seuls. Et quand ça suffit pas, on fait un exemple. Pour que les gens se le racontent.

Immon – On a le droit aux histoires vraies.

Soudi – Tu me la racontes ?

Immon – Tu me raconteras celle où on doit se battre ? (Un temps puis Soudi acquiesce) Alors d’accord. (Il s’éclaircit un peu la voix) Les gens racontent…

Soudi fait claquer sa langue.

Soudi – Pas les gens. Toi.

Immon – Moi… ? D’accord. Voilà ce que moi je raconte. (un temps comme pour ménager son effet)C’est plusieurs jours après le Grand Mouvement, personne ne sait vraiment quoi faire. Les gens reçoivent leur convocation. Certains y vont, d’autres ne reviennent pas. Parfois, on décide de quitter la ville avant même d’avoir l’enveloppe. On dit qu’à l’extérieur, c’est la jungle. Que les hommes sont des sauvages qui s’entretuent pour une morceau de pain. Dans les rues, il y a de plus en plus de soldats. On dit que la ville est dangereuse. Que la terre peut recommencer à trembler n’importe quand et surtout près du grand lac de sang qui s’est formé. Les gens ont peur. On dit que bientôt, les soldats escorteront ceux qui restent à l’extérieur de la ville dans un endroit plus sûr. Une autre ville, peut-être. On dit beaucoup de choses. Alors pour empêcher que les gens racontent n’importe quoi, le Pouvoir édicte la Loi Vérité. Quiconque sera surpris à raconter une histoire qu’il ne pourra pas prouver sera fait immédiatement prisonnier. La première loi du Codex. N’importe qui pouvait aller au Bureau Organisation et Information le plus proche pour témoigner contre un autre surpris à raconter une histoire improuvable.

Soudi – Témoigner ? Dénoncer, oui.

Immon – Je raconte ou c’est toi ? (Soudi fait un geste de la main) Le premier témoignage reçu par l’O-I, c’était contre un homme qu’on a entendu raconter à sa fille de 6 ans l’histoire d’un Prince Charmant qui défie le Roi et parcourt le monde pour trouver sa princesse. Ben oui, c’est difficile à prouver, un prince charmant. (Un temps) La Loi Vérité, elle était là surtout pour supprimer les rumeurs qui agitaient les rues. Mais comme il fallait faire un exemple et vite, l’homme a été arrêté. On dit qu’il a été torturé et qu’il n’est jamais sorti de prison. Les gens ont arrêté de raconter des histoires. Les rumeurs elles ont continué mais les histoires plus jamais.

Un temps.

Soudi – Elle était peut-être là pour ça, cette loi.

Immon – Pourquoi tu dis ça ?

Soudi – Parce que l’imagination, c’est plus dangereux que les rumeurs.

Partager

Témoin du Grand Mouvement

Quand tout se met à trembler pour la première fois, vous pensez que c’est votre imagination. Après 3 minutes, vous savez.

J’ai vu tomber devant moi le vase en porcelaine préféré de ma mère, l’intégrale des mémoires du 1er Président de la Confédération, le petit oiseau en bois rapporté d’un voyage dans les régions sud, un miroir encastré, un peu de poussière blanche, des morceaux de plafond, ma tirelire pleine de pièces de tous les continents, les photos encadrées cadre doré et cadre bois de la famille entière, les pots à crayons, les pots à farine, les pots à café, les pots de fleurs, la télévision, en mille morceaux, la télévision et la présentatrice aussi. J’ai vu tomber le balcon du huitième étage et le voisin dessus. J’ai vu tomber les câbles électriques et les poteaux, tomber l’immeuble d’en face et les gens dedans. Emmêlés sur le sol, les jambes, les bras, les câbles électriques, les poteaux, les pots de fleurs, ma tirelire pleine de pièce et ma mère.

J’ai vu tomber ma mère d’un trottoir dans la faille. Elle n’a pas crié. Elle est juste tombée. Comme si son dernier pas était forcément celui-là, un pas dans la faille ouverte par la terre en colère.

Moi, je suis resté debout. Les pieds plantés dans le sol en mouvement et le corps en équilibre dans ce déchaînement. Autour de moi, ça continuait de tomber et moi je restais droit.

Après 10 minutes, vous savez.

J’ai entendu les hurlements et les échos des cris sur près d’1km. J’ai entendu les grondements des profondeurs et ceux des chiens. Entendu les klaxons et les sirènes, l’éclatement des vitres, la tôle qui se compresse, le crissement du béton. Entendu les os qui se brisent et la chair qui se déchire, entendu le bruit des mitraillettes. Pourquoi des mitraillettes, j’ai pensé. Tac à tac, tac à tac, tac à tac, ça ne s’arrêtait pas.

Après 30 minutes, vous savez.

Quelque part, ça brûlait. L’odeur, l’odeur, l’odeur. L’odeur des corps et des pneus qui brûlent quelque part. Qu’on brûle…

Quand la terre tremble et que les mitraillettes crachent  sans s’arrêter pendant 1 heure, vous savez que demain ne sera plus jamais comme avant…

Partager

Lettre de Zig à sa mère

Année 28 post GM, quelque part au-delà de la ligne Ouest, un jour qui ressemble au printemps.

Maman,

Encore une lettre que tu ne recevras pas. Encore une lettre que je n’enverrai pas. Mais cette fois-ci pas de pourquoi. Une confession, la mienne, celle que j’aurai dû faire il y a longtemps mais qui m’est juste restée coincé dans la gorge entre un cri de haine et un mot d’amour. Maman, j’ai eu un frère. Un grand frère qui n’était pas de toi. Et aujourd’hui, il me manque.

Certains ont essayé de le remplacer comme Bouba a essayé de te remplacer, toi, Maman. Bouba avec sa canne et sa barbe a longtemps cherché à me faire croire qu’il était comme ma mère. Pauvre vieux fou. Bouba est mort hier, endormi dans son lit, rattrapé par son âge mais laissé tranquille par la guerre. Bouba n’est pas mort de la guerre. Ironique pour un vieux guerrier qui ne croyait plus en rien d’autre que les flingues et les canons. Il crève dans son sommeil comme un vieillard sénile.

Mais peu importe ce vieux cadavre-là, c’est de mon frère que je te parle.

Il me manque, Maman. Mon frère qui n’était pas de toi. Je l’ai tué. Je vois les traces de poudre dans ma main alors que presque 10 ans ont passé. La poudre ne part pas, incrustée dans ma chair pour me rappeler la longue silhouette décharnée qui s’affaisse devant moi comme une poupée de chiffon dont plus aucune petite fille ne voudrait. Je l’ai tué et abandonné. Ou l’inverse. Peu importe le sens, seul compte le cadavre.

Maman, je n’y arrive plus. 10 ans que je fais semblant de l’avoir oublié. 10 ans que la poudre me brûle la paume. 10 ans que je me bats au côté de ceux qui m’ont donné l’arme pour le tuer. Mon frère qui n’était pas de toi, n’était pas des leurs non plus.

Bouba est mort. Luk est quelque part en guerre sur une ligne. Je m’en vais. Peut-être irai-je te chercher… Ou alors j’irai juste trouver un endroit où je peux faire un autel de mes souvenirs sans risquer d’y être moi-même sacrifié.

Maman, voilà ma dernière lettre que je ne t’enverrai pas. La dernière à laquelle tu ne répondras pas. Je pars ailleurs. Loin.

Zig

Partager