1er atelier : la découverte

Mardi 3 janvier 2012, le rendez-vous était fixé pour ce premier atelier d’écritures numériques avec la classe de 3èmes du Collège Politzer.

La première rencontre est toujours légèrement angoissante. On ne sait pas trop comment cela se passera, on ne sait pas trop comment l’on est attendu. On ne sait pas trop comment se présenter, présenter le projet, amorcer l’écriture. Je fais et je refais mes premières phrases dans ma tête. Je potasse la trombinoscope de la classe. J’apprends les prénoms en avance pour pallier mon absence chronique de mémoire onomastique.

J’arrive juste un peu en avance et attends dans la couloir devant la classe que la cloche sonne. Cela ne rate pas, deux élèves sont là aussi. Ils me regardent un instant puis me disent bonjour poliment. On échange nos prénoms. Pour eux, je suis « Marine Auriol » ou Madame, j’efface le nom de famille et la civilité mais je sens dans leur oeil que ça n’est pas si simple. La cloche sonne, des hordes de collégiens se précipitent dans les couloirs. C’est l’heure.

Juste le temps de mettre les sièges en cercle pour commencer à se parler et il n’est plus temps de réfléchir, j’attaque. Moi, mon parcours, le Grand Mouvement, l’atelier, les réseaux sociaux. Je parle trop. Alors je pose des questions :

– Qui a un portable ?  17 mains se lèvent et papotent

– Qui a un profil Facebook ? 15 mains se lèvent et papotent

– Qui a un compte Twitter ? 2 mais qui ne servent pas

– Qui a un blog ? une petite dizaine qui ne s’en sert plus.

Et puis on attaque les personnages. Chacun donne une lettre, je les pose un peu au hasard sur mon carnet et nos 6 personnages apparaissent sous nos yeux : 3 garçons Tiro, Caq et Xyvys et 3 filles Grave, Dula et Miuw. Après avoir laborieusement ébauché le portrait de Caq, Xyvys et Miuw, c’est l’heure de la récré. J’ai les oreilles qui sifflent un peu.

Puis retour dans la classe et à la table. L’exercice consiste à écrire l' »à propos » Facebook d’un de ces personnages. Quelques lignes pour lui permettre de se présenter et puis de lui trouver des centres d’intérêts, ceux qu’il mettrait sur son profil Facebook. Pour les plus rapides, on s’attaque à Twitter. Une présentation mais en 140 caractères.

Tout le monde y met du sien et même les moins motivés me rendent quelques phrases griffonnées sur un coin de feuille.

La première séance a donné le ton. La classe de 3ème du Collège Politzer a de l’énergie à revendre et de l’imagination, à moi de les aider à organiser tout cela !

Ecritures théâtrales, écritures numériques : un grand mouvement ?

De janvier à avril 2012, avec l’association Citoyenneté Jeunesse et la bibliothèque de Montreuil, un atelier d’écritures numériques avec une classe de 3èmes du Collège Politzer de Montreuil

Si le monde du Grand Mouvement n’a plus que la parole pour témoigner, c’est loin d’être le cas pour les collégiens qui ont à leur disposition de multiples moyens de communication pour rendre compte de leur monde. Facebook, Twitter, blogs sont autant de terrains d’écriture encore à défricher pour les auteurs mais déjà bien appréhendés par les collégiens, sans pour autant qu’ils ne mesurent tout le poids que leur parole pourrait prendre grâce à eux.

Au cours de l’atelier, les élèves accompagneront mon propre projet d’écriture en travaillant la matière même de la saga avec ces outils : comment ces personnages témoigneraient-ils du même événement s’ils en disposaient? Est-ce possible d’écrire du théâtre sous la forme d’échange de mail, chat, sms ? Qu’est-ce que cela changerait dans la forme d’une présentation sur scène ? Comment éditer un tel texte ?

Vous trouverez ici ce qu’on s’est dit en atelier et les morceaux choisis des écritures numériques des élèves. Bonne lecture

Témoin du Grand Mouvement

Quand tout se met à trembler pour la première fois, vous pensez que c’est votre imagination. Après 3 minutes, vous savez.

J’ai vu tomber devant moi le vase en porcelaine préféré de ma mère, l’intégrale des mémoires du 1er Président de la Confédération, le petit oiseau en bois rapporté d’un voyage dans les régions sud, un miroir encastré, un peu de poussière blanche, des morceaux de plafond, ma tirelire pleine de pièces de tous les continents, les photos encadrées cadre doré et cadre bois de la famille entière, les pots à crayons, les pots à farine, les pots à café, les pots de fleurs, la télévision, en mille morceaux, la télévision et la présentatrice aussi. J’ai vu tomber le balcon du huitième étage et le voisin dessus. J’ai vu tomber les câbles électriques et les poteaux, tomber l’immeuble d’en face et les gens dedans. Emmêlés sur le sol, les jambes, les bras, les câbles électriques, les poteaux, les pots de fleurs, ma tirelire pleine de pièce et ma mère.

J’ai vu tomber ma mère d’un trottoir dans la faille. Elle n’a pas crié. Elle est juste tombée. Comme si son dernier pas était forcément celui-là, un pas dans la faille ouverte par la terre en colère.

Moi, je suis resté debout. Les pieds plantés dans le sol en mouvement et le corps en équilibre dans ce déchaînement. Autour de moi, ça continuait de tomber et moi je restais droit.

Après 10 minutes, vous savez.

J’ai entendu les hurlements et les échos des cris sur près d’1km. J’ai entendu les grondements des profondeurs et ceux des chiens. Entendu les klaxons et les sirènes, l’éclatement des vitres, la tôle qui se compresse, le crissement du béton. Entendu les os qui se brisent et la chair qui se déchire, entendu le bruit des mitraillettes. Pourquoi des mitraillettes, j’ai pensé. Tac à tac, tac à tac, tac à tac, ça ne s’arrêtait pas.

Après 30 minutes, vous savez.

Quelque part, ça brûlait. L’odeur, l’odeur, l’odeur. L’odeur des corps et des pneus qui brûlent quelque part. Qu’on brûle…

Quand la terre tremble et que les mitraillettes crachent  sans s’arrêter pendant 1 heure, vous savez que demain ne sera plus jamais comme avant…

BADALING LING

Ils mourront parce qu’ils ne me verront pas. Dans l’air, il y a toujours la même odeur. Ça gratte la gorge quand ça pénètre par les narines. On brûle les fientes de loups pour dire qu’ils arrivent. La fumée noire des fientes de loups se voit de loin. Rien à voir avec celles des poulets.

Je compte dans ma tête : Yi… Er… San… Trois coups de canon pour mille ennemis qui viennent. Mille soldats qui mourront de ne pas m’avoir vu. Je vise toujours la tête. « Ling » la corde de l’arc résonne. « Ling » la flèche file vers son but. « Ling » elle transperce la chair. Souvent la flèche pénètre dans l’orbite. J’imagine le bruit de l’oeil quand il éclate. « Ling » aussi.

J’en touche un, les autres me cherchent. Je vois leurs yeux qui parcourent la muraille, cherchant la faille, la fente, le trou où je me terre. Je vois leurs yeux. « Ling » je ne les vois plus.

C’est toujours la même chose. L’odeur des fientes de loups, les coups de canon et les yeux qui éclatent. « Ling », « Ling », « Ling », « Ling », « Ling »…

Ils reviennent toujours. Peut-être que ce ne sont pas les mêmes mais ils ont tous les mêmes yeux pour moi. Des yeux qui ne me voient jamais. « Ling »

Bian n’est pas d’accord. Pour lui, l’oeil qui éclate ne peut pas faire « Ling ». L’oeil qui éclate fait « Pong ». Bian vise toujours les coudes. Qu’est-ce qu’il y connaît aux yeux ?

Ils meurent parce qu’ils ne me voient pas. Ils meurent par là. Par l’oeil qui aurait dû me voir. S’ils ne l’utilisent pas, c’est qu’ils n’en ont pas besoin. « Ling », « Ling », « Ling », « Ling »…

Un oeil qui éclate, ça ne fait sûrement pas « Pong ».

Lettre de Zig à sa mère

Année 28 post GM, quelque part au-delà de la ligne Ouest, un jour qui ressemble au printemps.

Maman,

Encore une lettre que tu ne recevras pas. Encore une lettre que je n’enverrai pas. Mais cette fois-ci pas de pourquoi. Une confession, la mienne, celle que j’aurai dû faire il y a longtemps mais qui m’est juste restée coincé dans la gorge entre un cri de haine et un mot d’amour. Maman, j’ai eu un frère. Un grand frère qui n’était pas de toi. Et aujourd’hui, il me manque.

Certains ont essayé de le remplacer comme Bouba a essayé de te remplacer, toi, Maman. Bouba avec sa canne et sa barbe a longtemps cherché à me faire croire qu’il était comme ma mère. Pauvre vieux fou. Bouba est mort hier, endormi dans son lit, rattrapé par son âge mais laissé tranquille par la guerre. Bouba n’est pas mort de la guerre. Ironique pour un vieux guerrier qui ne croyait plus en rien d’autre que les flingues et les canons. Il crève dans son sommeil comme un vieillard sénile.

Mais peu importe ce vieux cadavre-là, c’est de mon frère que je te parle.

Il me manque, Maman. Mon frère qui n’était pas de toi. Je l’ai tué. Je vois les traces de poudre dans ma main alors que presque 10 ans ont passé. La poudre ne part pas, incrustée dans ma chair pour me rappeler la longue silhouette décharnée qui s’affaisse devant moi comme une poupée de chiffon dont plus aucune petite fille ne voudrait. Je l’ai tué et abandonné. Ou l’inverse. Peu importe le sens, seul compte le cadavre.

Maman, je n’y arrive plus. 10 ans que je fais semblant de l’avoir oublié. 10 ans que la poudre me brûle la paume. 10 ans que je me bats au côté de ceux qui m’ont donné l’arme pour le tuer. Mon frère qui n’était pas de toi, n’était pas des leurs non plus.

Bouba est mort. Luk est quelque part en guerre sur une ligne. Je m’en vais. Peut-être irai-je te chercher… Ou alors j’irai juste trouver un endroit où je peux faire un autel de mes souvenirs sans risquer d’y être moi-même sacrifié.

Maman, voilà ma dernière lettre que je ne t’enverrai pas. La dernière à laquelle tu ne répondras pas. Je pars ailleurs. Loin.

Zig