LONGMEN BOUDDHA

Je ne vois rien, il fait tout noir. Et j’ai mal à la tête. Ça me descend jusque dans la nuque. Où suis-je ? Je me touche. Je suis toujours dans ma grotte et pourtant, c’est comme si j’étais ailleurs. Comme si ma tête voyageait très loin. C’est ce fichu mal de crâne.

Autour de moi, d’autres grottes pleines de bodhisattvas. J’ai le mal de mer. Pourtant je me touche, je touche les murs de ma grotte, je touche les minuscules figurines sculptées autour de moi. Je suis bien dans ma grotte.  Et j’ai mal à la tête. Et il fait tout noir. J’ai envie de vomir. Ma tête valdingue à droite puis à gauche. L’estomac au bord des lèvres. Je me touche l’estomac, il est bien là, bien à sa place dans ma grotte. Il ne bouge pas, mon estomac. C’est pas comme mes lèvres. Elles n’embrassent pas la paix et la sérénité éternelles mais les murs de ma grotte. Non, pas les murs de ma grotte. Je ne vois rien, il fait tout noir. Mais mes lèvres n’embrassent pas la pierre froide des murs de ma grotte. Ça ressemble à du bois. Mes lèvres embrassent du bois ? Il n’y a pas de bois dans ma grotte. Je ne vois rien, il fait tout noir. Ça sent la mer. Je me touche, je suis bien dans ma grotte et il n’y a pas de mer dans ma grotte. Il y a bien le Yi Jiang, pas loin de ma grotte, mais il ne sent pas la mer. J’ai mal à la tête. Et jusque dans la nuque. Il fait tout noir. La nuit est tombée si vite. Ils étaient huit ou neuf à me regarder. J’étais fier qu’ils me regardent moi et pas Avalokiteshvara ou Amithaba. Ils se sont approchés pour mieux me voir. Certains avaient les mains cachées derrière leur dos. Ils s’approchaient toujours. Et puis la nuit est venue tout de suite et ce fichu mal de crâne jusque dans la nuque aussi. Je me touche les pieds, ils sont bien dans ma grotte. Je me touche les jambes en lotus, elles sont bien dans ma grotte, mon estomac aussi, je l’ai touché tout à l’heure. Je remonte sur la poitrine, dans ma grotte, mes épaules, dans ma grotte, jusqu’à mon cou, dans ma… Où est mon cou ? Et ma nuque, où est-elle ? Et mes lèvres qui embrassent du bois ? mon nez qui sent la mer ? mes yeux qui ne voient rien ? Où est ma tête. Je touche du vide dans ma grotte à la place de ma tête.

De la lumière… J’aperçois la lumière. Je ne suis pas dans ma grotte. Pourtant quand je me touche. C’est ma tête, ma tête n’est pas dans ma grotte, accrochée à mon corps comme elle devrait l’être, avec vue sur le Yi Jiang. Ma tête est dans une boîte en bois. Des grandes mains m’attrapent les oreilles et sortent ma tête de la boîte. Il fait jour. Mon corps est dans ma grotte et ma tête est ailleurs. Je ne verrais plus le Yi Jiang. Les grandes mains me posent sur une étagère en bois. Ils sont là, les huit ou neuf paires d’yeux et me regardent encore.  Ils regardent ma tête si loin de mon corps dans ma grotte où ils ne savent pas ce que je leur fais avec mes mains.

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