Extrait de Et si l’équinoxiale n’était qu’une mort de plus

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Extrait de la nouvelle « Et si l’équinoxiale n’était qu’une mort de plus » publiée dans l’anthologie « Du plomb à la lumière » concourant au Prix Mille Saisons 2017. Les lecteurs de l’anthologie sont invités à voter pour leur nouvelle préférée (ainsi que pour l’illustration et la composition musicale préférée) L’auteur ayant reçu le plus de vote pourra publier un roman dans l’univers amorcé dans sa nouvelle.

 

 

– Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq… Retour… Un… Deux… Trois… Quatre… Cinq… Retour… Un… Deux… Trois…

Gendra cogne sa pioche contre la surface brute, encore, encore, encore et encore puis se baisse pour laisser filer au-dessus de sa tête le wagon suspendu. Dans son dos, son andropair a juste le temps d’y déposer la poussière argentée qu’il a aspirée sur le sol devant eux. Les lourdes bottes les ancrent tous les deux dans la roche des grottes de la Nouvelle-Saturne comme les milliers de plombards qui œuvrent de concert aux cris métronomiques du contremaître perché sur sa plate-forme. Au fond du gouffre, la lumière bleue du deuxième soleil ne perce pas la brume froide. Les plombards vivent dans la nuit éternelle. Les plombards, appariés depuis l’emphase à leur androïde de travail, cognent leur pioche du matin au soir qui n’existent que dans le lent tic-tac du cadran saturnien. Les plombards baissent la tête, serrent les dents et cognent encore, encore, encore et encore.

Dans sa ligne, Gendra connaît tous les siens. À sa droite, Ernesto le Borgne qui, lors d’une équinoxiale, ne s’est pas baissé assez vite. À sa gauche, Ouros le Siffleur, qui souffle comme un tuyau percé à chaque coup de pioche. Et puis ça recommence. À la droite d’Ernesto le Borgne, Ouros le Rêveur, Gendra l’Étonnée puis Ernesto l’Ancien. À la gauche d’Ouros le Siffleur, Ernesto K. puis Gendra, la nouvelle. Les plombards ne se baptisent pas à la naissance, d’ailleurs, ils ne naissent pas. Les mimétogénéticiens d’ÉvoluZion n’ont pas de temps à perdre dans les fermes à embryons. Sur les milliers de fœtus produits à la chaîne, seul un tiers survivra à l’étape de croissance accélérée. Deux XY pour un XX qui n’ont pas vraiment besoin de nom. Ils auraient pu rester des numéros sans l’humanisme de la présidente Emany, actionnaire majoritaire du groupe ÉvoluZion. Son discours sur l’importance du prénom a ému la Confédération entière. L’acmé de sa diatribe à la tribune est devenue l’étendard du groupe et grave son importance dans la pierre noire de la porte du gouffre. « Donnons du sens à ceux que nous faisons. » Un plombard inspiré a, un jour, rayé de sa pioche les deux lettres centrales pour rappeler au monde que même avec un prénom, les plombards sont plus un « ce » que des « ceux ». Mais le monde est, comme d’habitude, passé à autre chose avant de comprendre la subtilité de son geste. Le plombard a disparu de sa ligne, les lettres ont été nettoyées et les trois prénoms des enfants biologiques de la présidente Emany sont devenus les numéros de tout plombard qui atteignait l’âge virtuel de huit ans. Ce passage de l’univers aseptisé de la ferme à la touffeur toxique de la mine de plomb qu’on appelle l’emphase. Drôle de nom pour un saut dans le gouffre avec sur le dos les kilos de métal de son andropair. De l’humour de généticien…

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A quoi ça sert, l’Imaginaire ?

Ben oui, à quoi ça sert ?

Dans notre monde qui va bien, si bien, tellement bien qu’on se passionne plus pour un petit bout de royauté encagoulé plutôt que pour des enfants, des femmes, des hommes, heurtés par leurs morceaux de terre en mouvement.
Alors que la planète respire l’air qu’on lui souffle dans les bronches sans pouvoir trop broncher et que nos sols s’en vont accueillir les petites graines modifiées pour produire plus (à défaut de mieux).
Alors qu’on est ensemble, tous ensemble, les uns avec les autres, les uns pour les autres un jour et puis le lendemain, on oublie celui avec qui on a marché parce que celui-là est un autre trop différent de soi pour être bien honnête.
Alors que l’argent est devenu valeur et qu’il compte plus que ceux qui le produise.

Ben oui, à quoi ça sert, les mondes à inventer qui, même s’ils semblent s’en éloigner prennent racines dans celui qui supporte nos pieds ? Ces mondes qui pointent de la sphère les excès, les dérives, les oublis ?

A quoi ça sert, les personnages ? les héros ? Ceux qui oublient leur petit soi pour sauver un grand eux ? Ceux qui se perdent dans leurs quêtes, qui doutent, qui échouent, qui rebondissent, qui dépassent, surpassent, trépassent pour que l’histoire avance ?

A quoi ça sert, les histoires ?
A quoi ça sert, l’Imaginaire ?
C’est tellement loin de nous, de nos vies, de notre monde ? C’est tellement improbable, invraisemblable, abstrait…

Ou alors… non… hein ? ça sert à rien. C’est sûr, une perte de temps de plonger dans les dystopies que quelques illuminés ont couché sur papier. Et puis les histoires d’élus qui sauvent les mondes, on a déjà donné, on n’y croit plus. On sait bien que notre monde à nous n’a pas besoin de héros. Il n’a besoin de rien, le monde, il va bien comme il est, hein ?

Hein ?

 

 

La Cour des Miracles (Prix Mille Saisons) est en vente et les votes sont ouverts, au cas où vous voudriez quand même lire de l’Imaginaire !

 

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