Quand tout se met à trembler pour la première fois, vous pensez que c’est votre imagination. Après 3 minutes, vous savez.
J’ai vu tomber devant moi le vase en porcelaine préféré de ma mère, l’intégrale des mémoires du 1er Président de la Confédération, le petit oiseau en bois rapporté d’un voyage dans les régions sud, un miroir encastré, un peu de poussière blanche, des morceaux de plafond, ma tirelire pleine de pièces de tous les continents, les photos encadrées cadre doré et cadre bois de la famille entière, les pots à crayons, les pots à farine, les pots à café, les pots de fleurs, la télévision, en mille morceaux, la télévision et la présentatrice aussi. J’ai vu tomber le balcon du huitième étage et le voisin dessus. J’ai vu tomber les câbles électriques et les poteaux, tomber l’immeuble d’en face et les gens dedans. Emmêlés sur le sol, les jambes, les bras, les câbles électriques, les poteaux, les pots de fleurs, ma tirelire pleine de pièce et ma mère.
J’ai vu tomber ma mère d’un trottoir dans la faille. Elle n’a pas crié. Elle est juste tombée. Comme si son dernier pas était forcément celui-là, un pas dans la faille ouverte par la terre en colère.
Moi, je suis resté debout. Les pieds plantés dans le sol en mouvement et le corps en équilibre dans ce déchaînement. Autour de moi, ça continuait de tomber et moi je restais droit.
Après 10 minutes, vous savez.
J’ai entendu les hurlements et les échos des cris sur près d’1km. J’ai entendu les grondements des profondeurs et ceux des chiens. Entendu les klaxons et les sirènes, l’éclatement des vitres, la tôle qui se compresse, le crissement du béton. Entendu les os qui se brisent et la chair qui se déchire, entendu le bruit des mitraillettes. Pourquoi des mitraillettes, j’ai pensé. Tac à tac, tac à tac, tac à tac, ça ne s’arrêtait pas.
Après 30 minutes, vous savez.
Quelque part, ça brûlait. L’odeur, l’odeur, l’odeur. L’odeur des corps et des pneus qui brûlent quelque part. Qu’on brûle…
Quand la terre tremble et que les mitraillettes crachent sans s’arrêter pendant 1 heure, vous savez que demain ne sera plus jamais comme avant…