Cognac Stories

Invitée par Louis XIII (Rémy Martin), j’ai eu l’immense chance de découvrir le cognac, son terroir et son histoire. Voici une pastille inspirée de cette journée passionnante.

J’ai 115 ans. J’ai 3 pères, 1 mère et 115 ans. J’étais là avant les guerres de vos grands-pères, avant les révolutions de vos parents, avant votre premier cri. J’étais là avant le premier cri de ma mère. J’ai grandi à l’abri, protégé, sans entendre le bruit du monde, le bruit des guerres, le bruit du temps qui passait pourtant avec force et fracas au-dessus de moi. J’ai dormi, on pourrait dire, dans un écrin de bois qui a vu passer mes sœurs et mes frères avant moi. J’ai changé. En 115 ans, on change. En 115 ans, on se découvre une richesse qui s’est construite avec patience et passion. En 115 ans, on a le temps de rencontrer du monde, de croiser d’autres soi-même, qu’on embrasse avec l’espoir dans tirer le meilleur et d’oublier ses propres imperfections. J’ai mélangé mon moi, ce qui me faisait moi avec le soi des autres. J’ai changé, j’ai grandi, j’ai 115 ans.

Comment serez-vous à 115 ans ? Ratatiné, fripé, ridé, l’ombre de vous, incapable d’autre chose que de revenir en arrière dans l’espoir d’y bloquer une boucle de temps. Si la mémoire en tout cas vous reste. D’autres auront ardoise blanche qu’ils passeront leur temps à remplir puis effacer. Vous attendrez la mort un peu par bravoure, beaucoup par ennui.

Moi, je commence à vivre. J’ai 115 ans.

Ma mère s’est assurée la dernière que je commencerai ma vie quand d’autres la finiront. Elle a fini l’office de mes 3 pères d’avant. Et prépare la vie de ceux qui me suivront. Ceux-là connaîtront d’autres parents, d’autres gardiens, d’autres temps. Peut-être me connaitront-ils aussi un peu. Quelques gouttes de mon sang à mêler au leur pour rappeler qu’un jour j’ai eu 115 ans. Ils auront 115 ans, et plus encore peut-être.

Je me repose. Je m’alanguis. Je laisse faire le temps. Je pense aux anges qui papillonnent aux alentours, attendant le bon moment pour emporter leur part. Je pense aux parfums qui s’évanouissent parce qu’ils n’ont pas la force de s’accrocher, aux arômes qui s’effacent quand on oublie d’y penser fort, aux accidents de la vie qui font les belles histoires, aux années qu’on prépare et qu’on ne verra pas. J’ai 115 ans, je m’arrête là même si la vie commence. Je suis ainsi, je suis entier grâce aux morceaux des autres, je suis le même ou presque que ceux qui viennent d’avant, je suis le souvenir d’une tradition qui s’applique à durer.

J’ai 115 ans, je suis dans ma bouteille. Mes années-tierçons ont préparé ma vie. Je suis prêt aujourd’hui à m’ouvrir. Je suis un Louis, je suis un roi, je suis un bijou d’ambre précieux, je suis un soupçon de magie sur les lèvres d’une femme, dont on s’empare avec gourmandise.

Approchez-vous doucement. Laissez venir à vous mes deux cents notes mêlées. Cherchez dans vos mémoires, attrapez un arôme puis laissez le filer. Trouvez la fleur, le fruit, le confit, le fumé. Laissez-vous entraîner par le suc d’un jasmin qui vous embarque ailleurs. Hésitez à admettre les fruits exotiques, ananas et passion sont pourtant bien dans l’air. Un souvenir de pâte de coing se fraye un chemin en secret. Safran et poivre de Sichuan titillent un peu l’ensemble. On s’attendrait presque à voir surgir le piquant d’une mellanosporum à peine sortie de terre tant on sent s’enchaîner les parfums si précieux. Une touche de réglisse, un soupçon de vanille, il vous reste 191 arômes à trouver.

115 ans à attendre, il est temps de goûter.

Je me laisse dévêtir par les palais en émoi. Touches après touches jusqu’à cette explosion qui affole les chairs. Frémissement, frisson, pâmoison. Je m’enroule tel un cordon fou autour des colonnes vertébrales pour remuer en vous des extases oubliées. Laissez-vous emporter par le feu léger de mes 115 ans, laissez-vous envahir par la richesse de mes parfums, laissez-vous faire. Ce n’est pas une valse, c’est une danse libre où chaque nouveau mouvement est une nouvelle surprise. Je vous ai fait tourner, le cœur à la chamade, les yeux perdus dans la pénombre de ma cave de mariage, je ne vous quitte plus. Je suis là, toujours là, encore présent dans un verre vide. Là, bien là, en vous pour longtemps.

J’ai 115 ans et je resterai quelque part dans vos mémoires même après que je ne sois plus. Vous m’emporterez comme une seconde d’éternité. Vous reviendrez peut-être pour d’autres découvertes mais la première fois aura toujours l’éclat de la révélation. Vous ignoriez tout de moi. Il était temps de se rencontrer.

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