Il faut des ponts pour que l’eau coule dessous

Deux pièces écrites pendant une résidence à la Ferté-sous-Jouarre, librement inspirées de la topographie de cette ville, à jouer ou lire en parallèle, en alternance ou en canon pour essayer de faire se répondre les voix, trouver les échos ou les incohérences, faire résoner ce qui peut heurter l’oreille ou au contraire y découvrir l’harmonie.

Extrait

Rive Droite : Scène 3

Chez Nelle. Elle rentre.

Jacques – Où t’étais ?

Nelle – Je regardais l’eau.

Jacques – Tu voulais te jeter dedans ?

Nelle – Et partir vers la mer. Combien de temps, tu crois que ça prend ?

Jacques – Pour rejoindre la mer ? Faudrait déjà savoir nager.

Nelle – Je sais nager.

Jacques – Garder la tête hors de l’eau, des jours des nuits…

Nelle – Combien ?

Jacques – Faudrait calculer.

Nelle – Papa ? tu me le calculeras ?

Jacques – Et après ?

Nelle – Faudra y réfléchir.

Jacques – Réfléchir à l’après plutôt qu’à l’avant, c’est bien.

Nelle – Maman est où ?

Jacques – Au musée. Elle classe l’avant. Elle archive, étiquette, dépoussière, range, soupèse, évalue un énorme tas d’avant.

Nelle – Elle rentre quand ?

Jacques – Retour au présent prévu dans 2 heures 30. Environ. Elle te manque ?

Nelle– On s’asseyait toujours au bord de l’eau.

Jacques – Tu devrais l’appeler.

Nelle– Et si elle n’est pas là ? Elle me manquera encore plus.

Jacques prend le téléphone et compose le numéro. Il tend le combiné à Nelle qui le prend. Ça sonne.

Rive Gauche : Scène 3

Chez Léa. Elle rentre.

Clémence – Où t’étais ?

Léa – Ça te regarde pas.

Clémence – Ça suffit, Léa. Combien de temps tu vas encore faire ça ?

Léa – Mais j’ai rien fait. Toujours tu crois des choses. Alors que je fais jamais rien.

Clémence – Les ados, ça fait toujours quelque chose de tordu.

Léa – C’est peut-être les adultes qui tordent toujours tout.

Clémence – On a été à votre place.

Léa – Sauf qu’à la préhistoire, on avait un mari et quatre gamins à mon âge.

Clémence giffle Léa puis sort.

Léa – C’est ça ! retourne à tes bouquins. Eux ils peuvent pas te répondre. Ils sont morts, enterrés dans leurs pages. Ça pleure pas, un livre, ça crie même pas. C’est sûrement plus facile !

Léa s’effondre sur le sol et pleure. Long temps. Petit à petit sa crise de larmes se calme. Elle s’essuie les yeux avec sa manche.

Léatout bas – Tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me manques, tu me man…

Le téléphone sonne. Deux sonneries. Trois sonneries. Léa décroche.

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