J’ai marché sous les pierres

Feuilleton théâtral en 9 épisodes joués chez l’habitant en Lozère (2007-2008)

Mythologie contemporaine et imaginaire de la Lozère.

Episode 2 : Aux égarés de la terre, retrouvez-vous ici
L’immensité pour s’y perdre, voilà les premières impressions de Lozère quand on arrive d’ailleurs. Petit, tout petit au milieu d’un territoire souvent intimidant, parfois terrifiant encore. Un endroit pour ne plus s’y retrouver et décider que cela vaut peut-être mieux.

Episode 5 : A la fin presque rien
On va au bout. On finit. On meurt. On se rappelle. On oublie. On dit tout. Parce qu’à la fin, beaucoup ou presque rien…

Extraits

Episode 2

Celle qu’on a perdue

Un jour, elle est partie aux champignons. Un coin qu’elle était la seule à connaître. Un coin qu’elle n’avait jamais partagé avec personne. Son coin à champignons. A chaque fois qu’elle y allait, son panier était plein. Je me souviens qu’il a des gens qui ont voulu lui acheter. Des pas d’ici. Ils lui ont proposé de l’argent pour savoir où il était, son coin à champignons. Elle les a regardés comme s’ils débarquaient de la lune. Nous, petits, on essayait de la suivre mais elle nous semait toujours. A soixante-treize ans, elle arrivait toujours à semer tout le monde. Y en a qui ont essayé de le trouver avec une carte et des relevés des sols, des compas, des instruments bizarres. Par rapport à la direction qu’elle prenait, du temps qu’elle mettait à revenir et du poids de son panier, de l’ensoleillement, de l’humidité, des routes à proximité, des souvenirs des uns et des autres, des calculs compliqués où il fallait que pi soit  multiplié par d’autres lettres grecques sous des racines carrées sans tronc ni branche. Mais personne n’a jamais réussi.

Alors un jour, elle est partie aux champignons, avec son panier sous le bras et ses yeux derrière la tête pour nous empêcher de la suivre. Elle n’est pas revenue. Jamais. On l’a cherchée. Longtemps. On a fouillé sa maison pour trouver des indices sur son coin à champignons. On n’a rien trouvé. Certains ont dit qu’elle avait finalement réussi à se le garder pour elle, qu’elle l’avait emporté dans la tombe pour toujours, qu’il devait être tout gelé comme elle aujourd’hui et que ce n’était plus vraiment important. Ils disaient qu’elle perdait un peu la tête et donc beaucoup son chemin, qu’elle avait dû mourir près d’un arbre, le panier sur les genoux et le nez dans la mousse bien avant le grand froid. Moi, je pensais qu’ils se trompaient. La vieille aux champignons, elle pouvait pas mourir. La vieille aux champignons, même en statue de glace sur un sol tout gelé elle monterait toujours la garde pour être sûre que personne ne viendrait jamais lui piquer ses champignons.
Episode 5

Naître

Aarrgh… Veut pas sortir ? Veut pas affronter le monde ? Veut pas me foutre la paix ? Veut pas ? veut pas ? Tu m’arraches les tripes. Tu me déchires le gros intestin. Mais qu’est-ce que tu fous là ? Dans mon gros intestin ? Qu’est-ce que tu fous dans mes tripes ? Tu remontes ? Tu cherches à remonter. A te carrer là, juste sous mon plexus et y rester ? Un couteau. Un bon coup de couteau au niveau du nombril et t’extirper de là. T’attraper par un pied et tirer, tirer, tirer. Aaargh… Veut pas sentir l’air frais ? Veut rester au chaud ? Tout le monde veut rester au chaud toujours . Protégé, à l’abri. Toute ta vie, tu voudras ça. Comme tout le monde. Toute ta vie, tu voudras retrouver la chaleur de mon ventre. Mais pour vouloir retrouver, il faut accepter de perdre. Alors, sors de là ou j’attrape le couteau. Aarrgh… Veut pas ? veut pas ? veut pas ? Tu es bien l’enfant de ton père, toi. La même douleur pour te faire entrer dans mon ventre que pour t’en faire sortir. La même déchirure à l’intérieur. Le même égoïsme à vouloir faire de moi un réceptacle. Autre chose qu’une femme.

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